Chapitre Un

Madelon


Le nez boudeur enfouit dans son corsage, elle espère que la technique de l'autruche pourrait, pour une fois, s'avérer efficace. Je ne te vois pas, tu n'es plus là. Des nèfles ! ces bestioles sont décidément par trop stupides. Le petit discours fait son chemin malgré elle entre ses deux oreilles et quand il se laisse choir à son tour sur le sol froid du labyrinthe, elle relève la tête une naissance de sourire sur les lèvres.

Alors comme ça, Ariane dégustait le Minotaure ... Belle souplesse de mâchoire ...

Tout compte fait, la mauvaise humeur se trouve éventée par les détours de l'histoire. On a beaucoup à apprendre de nos ancêtres. Elle chasse la vision limite terrifiante que fait naître l'affirmation du sire et s'installe plus confortablement. Elle étale ses montagnes de tissus froufroutants autour d'elle, les lisse d'une main habituée à telle pratique et pose un oeil indiscret sur l'homme.

Peut être devrions nous reprendre du début. En évitant la stupide question du comment vas tu ... puisqu'aucun de nous deux ne répondrait au poil (arf, presque ^^).

La petite voix refait son apparition, étouffée par les haies buissonantes. Un sourcil incrédule se lève.

Vous pouvez rajouter l'abandon à votre liste de mécontentement messire. L'estomac a ses raisons que le maître ne peut supplanter.

Un sourire franc cette fois. Madelon n'est pas femme a laisser longtemps les embêtements lui ternir la joie de vire. Il suffit de réfléchir pour trouver solution et de réfléchir encore un peu plus pour se débarrasser de ceux qui se donnent pour mission de vous entrainer où vous ne voulez pas.

Vous voulez me raconter un peu de vos malheurs. Qui sait si je ne pourrais vous en soulager d'une part. Et puis, j'ai du mal à croire que votre cheval serait plus malin que vous. Mieux monté surement ... mais l'intelligence n'étant pas proportionnelle ...


Marlowe's


Raconter ses malheurs, il en reste coît, un début de panique au coin du sourcil. Tous ? Voyons voir...Difficile de choisir, d'autant que certaines femmes ont le don d'éclairer d'un sens troublant vos propres propos.

Dans l'absolu, il aimerait conserver son ire en l'état, une sorte d'importance à être constant, un objectif espéré, toujours entrevu, jamais atteint. Pourtant il a trouvé un nuage particulièrement crispant, rien à faire, la vision s'impose.

Thésée, ruisselant de sueur, dans la lumière éblouissante d'un ciel presque blanc, rebondissant sur murs étincelant, immaculés, coeur battant aux pulsations d'un colibri, un glaive en bronze mou à la main, paumé, seul, au beau milieu des collines de la Crête, agrippant plus ferme son épée à chaque nouveau mugissement, ricochant entre les parois du piège.

Et puis sa tronche. Forcément, difficile de faire la différence entre un meuglement de défi et un râle bovin.

Marlowe's éclate de rire.

Vendu. Je me nomme J...

Il s'arrête net. Manquant d'échapper sa véritable identité. Celle enfouie profondément. Rebondis sur le hurlement de Lancelöt.

Plein de bon sens ce drôle, malgré ce que je ne lui enseigne pas...

Il s'assoit en tailleur face à elle, débouclant son baudrier, entasse dague et rapière à ses cotés.

Je mitonne une affaire aux petits oignons, le truc foutraque mais au poil. En plein quartier chicos, seulement je suis un courrien, j'y pige nada à Paris, je manque de tuyaux (pas loin^^").

Direct, à peine trace de circonvolutions allusives, à l'aise le marlou, menton sur la paume, avec comme les rouages d'une réflexion ininterrompue derrières les pupilles.

Sinon je vais mieux.

Grand sourire.




Madelon


Phrase laissée en suspens. Il se nomme ... peu importe son nom. Ce n'est pas l'identité des gens qui amène la jeune femme à arrêter ses choix, c'est le volume de leur portefeuille. Alors Jean, Jacques, Jeoffrey ou même Jémaloden tout cela est du pareil au même. De fait, elle ne relève pas et laisse les points de suspensions faire leur office. Surtout qu'elle même en use et en abuse de ces petits silences qui du moindre thème peuvent engendrer des sujets abscons.

Les doigts jouant avec un ruban qui tente de s'échapper de ses jupes, elle se penche à peine, soulignant l'intérêt qu'elle porte à la trame de ses pensées.

Paris ... allons donc. Si tous vos désagréments se logent dans une affaire la concernant, je peux certainement vous être de quelque utilité. C'est que pour tout ce qui touche aux canalisations j'ai quelques adresses. Voyons comment ... va ! tuyaux de poêle, poêle à bois, boite aux lettres, lettres et ratures, je peux aider, dénicher, mettre en contact.

Elle fait l'article tout en cherchant dans ces yeux là quelle solution est attendue. Que faut il à un homme comme celui-ci ? Certainement pas des femmes, il doit pouvoir trouver ça aisément tout seul. Surement pas l'adresse du meilleur négociant en vin. Ces lèvres ont du tremper dans plus de divins nectars qu'elle n'en a servi elle même. Alors ...

Si vous pouvez y mettre le prix doux sire, rien ne vous sera refusé.

C'est assez large, assez chargé de sous entendus, assez ouvert pour qu'il fasse son choix dans les désirs à assouvir.



Marlowe's


Il a toujours prêté une certaine attention à la mode, difficile de faire autrement lors on est élevé dans un environnement féminin, même au fin fond d'un claque à marin de Bretagne, la fanfreluche fait rage. Et il doit avouer que son admiration ne cesse croitre envers la corporation des tailleurs, surtout en ce qui concerne leur talentueuse faculté à découvrir les gorges.

Elle se penche donc, à peine. C'est heureux, cela lui permet de conserver une certaine logique dans le déroulement de ses pensées.

Ma foi, il me faudrait de quoi... Mine déconfite, son idée est vague au fond, et les moyens de l'atteindre, imprécis. ...ferrer du noble, personnels aimables, ne se laissant pas marcher sur les panards, aimant le jeu, dégourdis dans l'intrigue, les esgourdes à l'affut, stylés, pas manchot du canif, apte à la cambriole et au persiflage, saisissant le subtil. Pas du balourd à la comprenette difficile, encore qu'un ou deux robustes, ça dissuade.

Il reprends un peu son souffle, recroise les mains, oublie un instant le prime conseil maternel : toujours regarder une femme dans les yeux si on ne veut pas perdre le fil, utile pour sortir du labyrinthe de leur regard. En l'occurrence, c'est plutôt la pulpe renflée de sa bouche le soucis, donnant un air de printemps au visage. Marlowe's redresse un peu le buste, rectifiant une inclinaison involontaire vers l'avant, observe soudain l'ongle de son index avec intérêt.

J'oubliais, du mobilier ayant de la gueule aussi, pas du tout venant à bourgeois, un truc qui claque. Pour le financement... Sourire frimeur de celui appréciant l'idée de pouvoir dépenser sans compter ...il aura la suavité d'un abricot juteux au coeur de l'hiver.

Il retaille l'ongle d'un coup de canine, attentif à la réaction de Madelon, il cherche mercenaires citadins, aimant l'or, mais pas au point d'oublier la parole engagée. Espèce rare, sur laquelle se bâtissent les royaumes.

Madelon


Avant même qu'il n'ouvre la bouche un petit mot claque dans l'esprit de la donzelle : Raté ! Le nez se plisse en signe de désappointement. Expression qui commence à ressembler à un tic chez elle. Elle lui laisse tout loisir de s'offusquer du chiffre annoncé et en profite pour reprendre ses évaluations à la baisse. Le regard le quitte pour chercher refuge intérieur et libérer l'esprit aux pérégrinations nécessaires.

Un sursaut au contact de sa main dans la sienne et les yeux retrouvent le visage expressif de son vis à vis. Elle s'amuse en silence de sa divination, le temps que les ondulations de la voix masculine à son oreille viennent porter en terre le sourire qu'il avait su s'octroyer.

Pas moins ? Non parce que tant qu'on y est, je pourrais vous faire un don.

On frôle l'outrage. Il n'a manqué que quelques centimes d'écus à ce qu'elle l'envoie tout bonnement se fournir chez le premier ébéniste venu. Elle dédaigne la main tendue et se lève. Les pensées sont plus vivaces quand le corps les accompagne de son mouvement.

Marchons voulez-vous.

Machinalement, les doigts déplissent la robe maltraitée par cette station au sol et se penchant vers lui, elle lui glisse le résultat de ses petites opérations. L'innocence personnifiée, avant qu'il ne se relève seul, elle tend une main secourable.


Marlowe's


Il reste figé à moitié accroupie, elle a dit combien là, avec sa frimousse de souris humant un gruyère, si même les truands pratique le prohibitif maintenant, révision du jugement, le ramage est peut-être un brin outrancier, assurant son assise, subissant le jugement de la damoiselle, Marlowe's reboucle son ceinturon, ton d'innocence rare.

La coutume veut que vous donniez un prix moins élevé que l'offre précédente.

S'empare de la main tendue, se hisse lentement à son oreille, pointes des bottes à la lisière des jupes.

J'accepte ce prix. Pas pour vos beaux yeux. Par confiance, et pour vous prouvez que je recherche plus des partenaires que des intermédiaires.

Il ne bouge pas, poignée de mains franches, et le regard s'éclaire d'ambition et de volonté, transparaissant à la surface, étincelles cachées rarement dévoilées.




Madelon


Le prix avait grimpé par bravade. Pour prouver qu'elle n'a besoin de personne pour faire ses petites affaires, que si ça n'avait pas été lui cela aurait été un autre. Mais le choix s'est avéré judicieux. Leurs mains embrassées, elle ne quitte le regard vivant, vibrant et la voix pleine de sourire laisse tomber la conclusion.

Monsieur je vous trouve on ne peut plus ... intéressant.

Ce n'était pas mentir. Pour la confiance, il faudrait attendre, peut être bien en vain. La demoiselle n'est pas femme à accorder ce don si facilement. Elle estime même que c'est beaucoup demander. Il n'existe dans sa vie qu'une personne dont elle pourrait dire qu'elle lui fait confiance. Mais même en ce qui le concerne, elle se refuserait à formuler cette pensée. Les affaires qu'elle entreprend et qui assurent son train de vie ne sont pas de celles où trop s'ouvrir porte chance. Le silence est l'assurance de sa sécurité.

Lâchant la main, elle passe son bras sous celui de son interlocuteur du moment et l'entraine dans les méandres du labyrinthe. Au pas de promenade, elle échafaude les plans qu'il faudra mettre en œuvre et caresse de la pensée les opportunités qui s'offrent à elle. Elle parle, pour elle autant que pour lui, racontant ses visions du futur qu'il vient de se payer.

A ce prix Messire, je me charge de la rumeur, de vous trouver tout votre train de personnel, de dénicher l'hôtel qui vous mérite et j'assure votre quotidien. Votre nom résonnera dans tout Paris comme celui de l'homme qu'il faut absolument connaitre. Votre maison sera plus courue même que l'auberge de Monseigneur. Vos salons déborderont des gorges de ces dames, crouleront sous leurs fanfreluches de soieries.

Elle s'échauffe à l'évocation de ces promesses, la voix gonflant et roulant au gré des musiques qui égrainent leurs notes dans son esprit. Esquissant trois pas de danse, elle s'arrête devant lui, les bras encore flottant, légers, à ses côtés.

Je ferais de vous le Prince de Paris.


Marlowe's


Le hasard lui flanque à nouveau une bonne vieille tape bourrue sur l'épaule, les faubourgs de son enfance s'éloignent à la vitesse d'une marée d'hiver, et le cri des mouettes résonnent toujours de façon aussi moqueuse, en un fugitif instant de déséquilibre, ivresse de l'abîme, Marlowe's comprends que le chaos ne le laissera s'échapper, il peut jouer l'indifférence, il peut s'amuser d'inconstance, se leurrer sur sa chance, mais le temps de se regarder en face approche, si il veut survivre à tout le moins.

Il ne sourit ni n'esquisse moue charmante à l'affirmation de Madelon, l'intérêt est partagé, quoique les motifs reste pudiquement dans le floue, cette femme est dangereuse, non de sa nature féminine, de cela le marlou est légèrement en avance sur son siècle, non de ses objectifs, il les devine à peine et n'est point pressé par la curiosité, la surprise est sa lame préférée, à l'épée comme aux tarots, non, c'est sa folie maîtrisée. En pleine conscience.

C'est cela qui provoque son intérêt, mêlé de craintes. Pourtant il a confronté sa démence aux pires rebuts des Miracles, jouissant de ce brasier l'emportant, la cicatrice des flammes est inscrite sur son corps. Pourtant il a hurlé sa rage aux cadavres de sa concubine délaissée, fracas de la guerre, où le sang a goût de vin.

Oui mais voilà, ce délicat frisson d'incertitude s'accroche obstinément, il ne se méfie pas de Madelon, pas au sens strict du terme, il en a peur, comme on a peur de soi-même, parfois, dans le calme précédant l'aube, lors l'insomnie est la plus fidèle des compagnes.

Son pas se cale sur le sien, enregistrant ses intonations, le sens de ses mots, et se retient de sourire dix fois à son enthousiasme. Mais le marlou danseur ne peut refuser l'invitation esquissée, sans réfléchir, il enlace la taille de la demoiselle, reprends sa main et l'entraîne dans une farandole aérienne, suivant le rythme du vent dans les feuilles des diverses essences du parc, mélopée sourde des chênes, staccato clinquant du saule, ligne basse et régulière du tilleul, mélodie de la brise, montant crescendo à chaque rafales.

L'hôtel est déjà dans mon escarcelle. Voyez ma Dame, la charge, d'une phrase s'allège. Si vous me promettez la société parisienne, je vous offrirais ses entrées. Rajoutez à tout cela un tailleur à disposition, et ma bourse sera vôtre puits.

Il ignore délibérément sa dernière phrase, il s'est battu pour que la Cour n'ait de Rey, se refuse à la griserie des titres, obstinément, un moyen parmi d'autres... Il ne veut que bousculer le Royaume, jusqu'aux tréfonds de ses fondations.

Dans le silence de cette musique révélée de leurs mouvements, ils tournent, sans connaître les codicilles du pacte conclu.




Madelon


Elle se laisse porter par l'étreinte légère de cette main sur sa taille, à mille lieux de là, aux antipodes de ce jardin conçu pour enfermer les songes. Et comme ils tournent et que la musique prend forme, tournent et prennent forme des noms et des visages, des listes de choses à mettre en route, des visites qu'il faudra absolument faire. Au milieu de ce pseudo imbroglio de pensées, il trône, impériale poupée de chiffon, magnifique homme de paille, splendide acteur de ses projets naissants. Oui, tu seras le Prince de Paris, la coqueluche des dames, le passe philosophale, la perfection faite homme. Et tous ceux qui ne le croiront pas devront payer les intérêts de l'investissement que je fais. Mon temps, mon énergie et les rouages huilés sont à toi, je prendrais tout le reste.

Ses pas suivent sagement la cadence qu'il leur imprime, son corps s'assouplit entre les bras qui la tiennent mais ce n'est pas tant à ses talents de danseuse qu'il faut attribuer le mérite qu'au fait qu'elle ne soit pas là. Occupée à tisser les mailles serrées de son avenir, à dénouer les nœuds que déjà elle voit se former. Elle sait, par expérience, que la volonté ne suffit pas. Ce qui compte avant tout, c'est l'organisation, la maîtrise des évènements et pis que ça, la maîtrise des autres. Ne pas leur donner le temps de penser plus qu'elle, qu'ils ne les voient pas venir. En douceur et finesse, introduire son nouveau jouet dans la place. Et quel jouet ! ce jour, alors qu'il s'annonçait bassement sinistre, apportera en fin de compte à la demoiselle ce qu'elle attendait depuis si longtemps. Toucher l'excellence, découvrir le diamant brut. Surtout, ne pas en rater la taille ...

Ses paroles la ramènent par strates à l'instant présent. La lumière du jour redonne son éclairage oblique, l'air frais revient piquer les joues, bientôt le décor entier s'impose et il réapparait sous son regard, absolument parfait ... Et la réalité aidant, c'est elle qui stoppe là leur instant en suspend, le souffle un peu court, la voix encore lointaine.

Oui, vos phrases ont en effet le don d'alléger mes peines.

Pas tout à fait pourtant car elle n'a pas oublié la mission qui, à cette heure, lui incombe encore. Il est temps de mettre un terme à cet interlude, un problème à la fois. Encore faut il qu'elle évoque cette affirmation bien cavalière de sa part.

Je n'oublierai pas, croyez le bien, que vous déliez vos cordons à mon attention. Il sera sans doute nécessaire d'y puiser encore. Mais je saurai prendre soin de votre fortune. Il serait fort dommageable pour vos projets que vous vous trouviez à court de crédit.

Elle entend par là qu'il serait fort dommage pour lui qu'il énonce plus qu'il n'est capable d'avancer. L'inflection de la voix ne laisse aucun doute, cela ne tient pas de la menace mais de l'évidence.

Des yeux, elle cherche à discerner la sortie et recule de quelques pas. Au hasard de leur errance, leur divagation piétonne les a porté non loin d'une porte dérobée, souvent Monsieur Hasard fait bien les choses.

Vous avez l'hôtel ... bien. Je saurai vous trouver en ce cas. Laissez moi faire, vous n'aurez pas à vous plaindre de mes prestations.

Un hochement de tête pour déclarer les débats clos.

Je vous souhaite le bonsoir Messire, d'autres affaires m'appellent ailleurs. Au plaisir ...

Elle est passée à autre chose. Alors qu'elle disparait sans autre forme de cérémonie, le sieur se trouve bien rangé au chaud dans un des coins sombres de son esprit tortueux.