La vache et l'avocat

CLkikoz


Aujourd’hui, même le ciel semblait sourire tant CLkikoz était heureuse. Sa journée avait bien commencé, elle avait trouvé du travail tout de suite et avait ainsi pu terminer tôt et se rendre au plus vite à l’hospice. Babun en fut surpris… mais heureux, ses traits s’adoucissaient de jour en jour et sa fatigue semblait s’éloigner. Elle ne remercierait jamais assez le Tout Puissant de l’avoir épargnée d’un chagrin insurmontable s’Il avait rappelé son compagnon à Lui…

Bonjour, mon Prince, votre Blanche a plus de temps pour vous aujourd’hui…

Il lui prit la main, y déposa un baiser. Elle le regarda tendrement et s’approcha de lui, au plus près… Elle ne quittait pas ses yeux… sentait son cœur s’émouvoir… avait une folle envie qu’il la prenne dans ses bras… Il se contenta de lui passer délicatement la main sur le visage, comme on le ferait à une enfant… et demanda à travailler son écriture, il se sentait prêt à affronter la virginité d’un parchemin… Elle prépara parchemin, encre et plume sur la table, à la lumière de la petite fenêtre, approcha un banc et ils s’installèrent.

Je vais me placer à votre gauche et vous tiendrai le parchemin, ce sera plus facile pour vous…

Il prit place, s’aidant de sa main valide pour poser sa main blessée sur la table, se saisit de la plume et la trempa dans l’encre… Elle pouvait ressentir sa concentration, sa volonté de réussite, mais aussi sa crainte de l’échec. Elle le rassura, une fois de plus :

Nous allons travailler à deux si vous le voulez bien, ce n’est que le début… vous allez réussir… Mon Prince, je vous aime…

Elle posa sa main gauche sur le haut du parchemin, le maintenant stable, saisit la main de Babun avec sa main droite et commença à guider ses gestes… Elle lui fit part de son désir de voir leurs noms s’afficher côte à côte :

Pourriez-vous tenter d’écrire Babun et Blanche ? lui dit-elle dans un sourire.

Il accepta et l’entreprise prit du temps, mais le résultat de ce travail à 3 mains était plutôt réussi… restait maintenant à continuer pour qu’il y parvienne seul. Mais la fatigue se faisant sentir, il reporta à plus tard le tentative. Elle rangea le matériel, demanda à conserver ces premiers mots de « gaucher » et ils reprirent leur conversation :

Vous avez les salutations de quelques Alésiens, Messire Laszlo qui m’a aidé dans les recherches, je vous en avais déjà parlé… Messire E_Scout qui avait eu la gentillesse de vous préparer une tarte aux myrtilles et messire Max12, le tavernier du Fer Rouge, où je vais m’abreuver de tisane…

Mais l’effort qu’il venait de fournir l’avait réellement fatigué, elle l’embrassa, lui promit de revenir demain et le laissa se reposer, s’installant en prière à ses côtés. Il s’endormait... Elle sortit avec le parchemin à leurs noms, heureuse de cette première réussite… certaine qu’il y en aurait d’autres…

CLkikoz


CLkikoz passa ses mains sur ses yeux pour tenter d’en adoucir les marques de fatigue et les souvenirs des pleurs qu’elle avait versés la veille alors qu’elle s’était sentie si seule… Elle entra dans la pièce où devait se trouver Babun… et… son regard en fit tout le tour… cherchant désespérément sa présence… Il n’était pas là…

Une fois de plus, elle crut défaillir, mais elle sentit, dans son dos, un regard pénétrant qui la fit frissonner. Elle hésitait à se retourner, de peur de se tromper… Si ce n’était pas lui…Elle fut vite rassurée lorsqu’elle entendit le nom de Blanche… Un sourire vint éclairer son visage et elle se tourna vers lui pour le saluer :

Bonjour mon Prince, je suis heureuse de vous savoir debout…

Il se tenait devant elle, son bras droit maintenu par un tissu noué derrière la nuque, la main blessée reposait à l’intérieur, comme un petit oiseau dans son nid. Il ouvrit son bras gauche et sans plus attendre, elle se précipita vers lui, venant poser sa tête contre son épaule, levant les yeux pour croiser son regard… Ils échangèrent un tendre baiser et très vite, il remarqua ses cernes… dégageant sa main pour la passer sur les joues de sa Blanche, il lui renouvela sa demande pour qu’elle garde courage…

Je sais mon Prince, mais je me suis sentie affaiblie par votre absence et l’hospice était fermé, vous m’avez manqué… Je n’ai pas osé vous envoyer ma colombe…

Elle lui sourit et promit d’essayer de ne plus sombrer dans la tristesse de la solitude… Ils reprirent leurs travaux d’écriture, l’un à côté de l’autre, main dans la main…CLkikoz lui raconta le pigeon de Marusse venant lui apporter son Rosaire, mais aussi des nouvelles d’un ami qui se trouvait au plus mal par chagrin d’amour, l’amitié de Rigy, les discussions en cours au village… Ils vivaient le présent… L’avenir serait pour plus tard…ils le construiraient ensemble, dès qu’ils auraient repris assez de forces, lui pour sortir de l’hospice, elle pour voyager sur les chemins…

Après un dernier baiser, ils se séparèrent… Il retourna à son repos, elle emporta le parchemin paraphé « Babun » sur lequel ils venaient de marquer : « Blanche, je vous aime. »

Merci mon Prince. Votre Blanche vous aime aussi… prenez soin de vous… à demain…

CLkikoz


Un sourire aux lèvres, le cœur rempli de ses prières et de sa bonne action à l’Eglise, CLkikoz arriva à l’hospice alors que le soleil éclairait encore la table de travail sur laquelle Babun s’exerçait à l’écriture.

Lorsqu’elle entra, elle le surprit par son joyeux :

Bonjour mon Prince, votre Blanche est là…

Il était attablé et sursauta, laissant tomber une tache d’encre sur le mot Blanche qui pour le coup devint tout noir. Ils en rirent… s’embrassèrent et il reprit sa calligraphie avec application… on pouvait lire : « hasta siempre »

Elle s’amusa de voir ses essais, en général, c’était elle qui signait ainsi, lui utilisant plutôt la signature qu’il avait posée au bas de la première Aubade qu’il lui avait écrite : «Toujours vôtre »…

Vous avez le bonjour et tous les vœux de Persan, d’Armoria et de ma filleule Loreleï… Je vais sans doute être obligée de m’absenter pour son baptême…

Il la regarda inquiet. Allait-elle partir ?

Mon Prince, je ne vous quitte pas, je serai là chaque jour, je vous aime… et attends votre sortie… vous pourrez ainsi visiter l’Eglise d’Alais, j’y ai fait un peu de ménage et je me demande si nous ne devrions pas leur offrir un tableau…

Il reconnut là le goût qu’ils partageaient pour l’art, et l’amour des belles œuvres… Il l’a prit dans ses bras et lui murmura à l’oreille des petits mots qui la firent rire…

Laissant le soleil finir sa course, ils partagèrent de grands moments de complicité jusqu’à ce que Babun montre des signes de fatigue… Il avait encore besoin de repos, son combat contre la Camarde avait laissé des traces…

Il s’allongea. Elle resta un instant auprès de lui, sa main dans la sienne, à le regarder sourire, à lui sourire, déposa un tendre baiser sur ses lèvres, sentit que sa main serrait la sienne dans une douce étreinte, elle en frissonna avant de lui dire :

Mon Prince… je vous aime… prenez soin de vous… à demain…j’emporte votre parchemin….

Avant de sortir, elle se retourna pour lui faire un signe de la main, mais il était déjà dans les bras de Morphée…

CLkikoz


La grande bâtisse de l’hospice se profilait à l’autre bout du verger. Un rayon d’automne donnait à ses pierres une couleur sable qui se fondait avec l’or des arbres que l’arrière-saison avait transformés en joyaux. D’un pas décidé, CLkikoz passait entre les fruitiers, adressant un salut amical aux cueilleurs dont elle connaissait la plupart maintenant. La petite fenêtre était ouverte mais elle n’y voyait personne. Son bien-aimé ne devait pas l’attendre encore, ou dormait-il ? Très vite, elle le saurait.
Le grand escalier de pierre fut vite gravi, l’huis de la cellule de Babun rapidement ouvert et CLkikoz souriante, quelque peu rougie par l’effort était heureuse de voir son compagnon affairé à ses écritures…

Bonjour mon Prince, vous progressez vite…

Il laissa sa plume et ouvrit son bras gauche pour une douce étreinte.

Je vous ai apporté un petit cadeau pour accroître la dextérité de votre main. Vous souvenez-vous lorsque nous étions enfants, nous jouions… Vous avez sûrement joué vous aussi… Regardez…

Elle lui présenta une petite bourse en peau. Il l’ouvrit et sourit en voyant ce qu’elle contenait.

En effet tous les enfants s’amusaient à ce jeu dans les rues de Tonnerre et ailleurs dans les Royaumes. Sur la place d'Alais, CLkikoz en avait vus, c’est ce qui lui avait donné l’idée…
Ils entamèrent une partie dans la bonne humeur, mais l’exercice était difficile et Babun commençait à s’énerver. La patience n’était pas sa qualité première. Il n’aimait pas que les choses lui résistent… Elle le savait et doucement, rangea les osselets dans l’aumônière :

Laissez, mon Prince, nous recommencerons plus tard, lorsque vous irez mieux… vous vous fatiguez trop vite…

Elle posa le tout sur la table, à côté de la plume et de l’encrier, tout en jetant un œil sur le parchemin : il était couvert de chiffres, de lignes de chiffres… le banquier s’était réveillé… Elle en sourit...

Il vous faut prendre soin de vous... Je vous aime... Votre Blanche vous aime…je reviens demain… Douce nuit mon Prince…vous verrez, l’étoile qui brillera à votre fenêtre n’est autre que ma pensée…elle ne vous quitte jamais…

Sur un dernier baiser, ils se séparèrent sachant que demain verrait leurs retrouvailles…

Banator

Dans la nuit profonde une étoile brille au ciel d’Alais. Elle éclaire de sa pâle lueur une petite fenêtre de l’hospice, sur le bord de laquelle vient se poser une colombe blanche.

La colombe habituée à distribuer des missives, frappe trois petits coups secs sur le verre irrégulier et attend patiemment que quelqu’un vienne la libérer.

Citation :

Elle porte pour nom Proxima
Toujours aveuglément elle vous aima.
Où que vous soyez, elle scintille
Illuminant de vos nuits la bastille.
Libre pensée qui jusqu’à vous caracole
Espérant un destin qu’Amour auréole.

CLkikoz


Ce dimanche encore, CLkikoz avait assisté à la messe et prié, prié pour son compagnon, pour ses amis, les anciens mais aussi pour les nouveaux, ceux avec qui elle partageait de grands moments, brisant la solitude que lui imposait le repos de Babun.

Elle était intriguée par les réponses que lui avait faites le curé sur l’existence de Dieu... mais elle continuerait à dire autant de fois que nécessaires le Credo. C’est en tenant son Rosaire dans la main et en marmonnant ses prières qu’elle arriva à l’hospice.

Elle voulut le surprendre, mais il l’attendait, lisant les acrostiches qu’il avait reçus…

Bonjour mon Prince, merci… Banator a fait son travail…

Ils avaient apprécié cette coupure dans le silence de la nuit. Elle ne pouvait quitter son regard, toute pétrie d’amour qu’elle était dès qu’elle l’approchait. Elle s’avança encore plus vers lui et vint poser sa tête contre son épaule savourant ces instants d’intimité. Il passa sa main dans ses cheveux, la serrant contre lui. Ils se retrouvaient…

Mon Prince, votre Blanche vous aime… je voudrai rester toujours ainsi, près de vous…

Soudain, ils entendirent l’huis geindre et virent entrer une soignante. CLkikoz fût obligée de quitter la cellule… Pourtant, elle aurait aimé rester, encore… Elle patienterait donc à l’extérieur, mais son cœur n’avait pas quitté la pièce.

Lorsqu’elle put à nouveau entrer, Babun grimaçait… sa main droite le faisait encore souffrir… Cela ne s’arrêterait donc jamais ?

Elle s’attrista et c’est lui qui la réconforta en l’assurant de son amour et de sa volonté à guérir. Il l’épouserait. Mais il leur faudrait encore de la patience, encore et encore… Chassant ces idées de lendemains lointains, ils reprirent l’entraînement « osselets ».

Babun s’était exercé, il ne pouvait en être autrement !!!

Vous avez joué toute la nuit ? Vous avez gagné les deux premières parties…

Ils riaient… sachant pertinemment que rien ne se faisait sans la bonne volonté de chacun : Clkikoz faisait preuve d’une maladresse qu’on aurait pu croire calculée… Il le savait… Il l’a connaissait si bien… Il l’embrassa tendrement et lui sourit. Point besoin de mots entre eux.

Les clepsydres ici aussi étaient folles, il fallait déjà qu’ils se séparent…

A demain, mon Prince… je vous aime, vous attends, ne vous souciez pas pour moi, Alais m’accueille chaleureusement… prenez soin de vous, qu’Aristote vous garde en sa protection…

CLkikoz


Le trajet jusqu’à l’hospice lui avait paru interminable, le chemin semé d’embûches… Plusieurs fois CLkikoz avait glissé sur une pierre, trébuché sur une branche morte, s’était pris les pieds dans des tiges de maïs arrachées, avait écrasé quelques fruits trop mûrs tombés des arbres.

Mais où avait-elle la tête ?

Même les animaux semblaient hostiles à son avancée : un troupeau de vaches prenait son temps pour traverser le chemin qu’elle empruntait, des moutons l’avaient encerclée curieux de sa présence sur leur champ… seuls les cochons à demi endormis l’avaient laissé progresser à sa guise, enfin, presque, car à chaque pas elle devait vérifier où elle mettait ses pieds pour éviter de trop salir ses chausses…

Enfin !!! Elle arriva… Personne à la fenêtre… Mais elle gardait confiance, son compagnon devait encore se reposer.

Elle entra, sans même se soucier de toquer à l’huis : cette cellule était un peu la sienne depuis le temps qu’elle y venait.

Il était là, attablé avec les osselets, à les lancer et tenter de les rattraper de sa main gauche de plus en plus adroite…

Bonjour mon Prince, bravo… aujourd’hui vous gagnerez sans difficulté, je pense…

Il cessa immédiatement pour accueillir sa Blanche avec un sourire heureux et un baiser chaleureux. Il aimait la regarder… Il s’arrêta un instant et emplit son regard du sourire qu’elle arborait, ravie de voir que son compagnon se battait contre l’adversité avec courage.

Ils fermèrent l’huis et nul ne sait ce qu’ils se racontèrent… ni ce qu’ils firent…

On vit seulement sortir CLkikoz ajustant sa coiffure et lançant dans un petit rire taquin :

A demain, mon Prince, je vous aimeeeeeeee… prenez soin de vous…. Et n’oubliez pas de regarder les étoiles, vous reconnaîtrez facilement ma pensée, c’est celle qui brille le plus ardemment dans le ciel d’Alais…

CLkikoz


En ce dernier jour d’octobre, le soleil s’accrochait pour réchauffer cœurs et terres. Le Languedoc savait en capturer les derniers rayons. En Bourgogne, il devait déjà faire plus frais… CLkikoz pensa aux orangers de la taverne et du pigeonnier. Il faudrait qu’elle demande à son amie de les protéger. Babun n’avait pas escompté que nous serions bloqués avant les frimas et son projet d’orangerie était resté à l’état de projet… Leur amie Marusse trouverait certainement une solution…

Lorsqu’elle entra, elle espérait trouver Babun éveillé, elle avait envie de lui faire découvrir le petit jardin qui se cachait derrière l’hospice.
Il l’attendait… il attendait sa Blanche. Jamais elle n’avait failli à ces visites. Il l’accueillit d’un regard attendri. Sans un mot, CLkikoz s’approcha pour échanger une étreinte, un baiser… Elle appréciait ces instants, les espérait chaque jour, s’en emplissait le cœur. Elle lui susurra :

Bonjour mon Prince, je vous aime, je suis si bien avec vous, je vous aime à la folie…

Il lui murmura à l’oreille quelques mots tendres qui posèrent sur le visage de sa belle un sourire de bonheur. Leur amour rayonnait… Elle lui proposa :

Que diriez-vous d’une petite promenade au jardin ? Le soleil est encore doux…

Et ils se retrouvèrent, quelques instants après, parmi les sauges, romarins et verveines du petit jardin qui fleurait bon la nature.

Babun n’était pas retourné à l’extérieur de l’hospice depuis le fameux jour où il en avait perdu le chemin… Il s’appuyait sur l’épaule de sa compagne, sentant encore ses muscles affaiblis par plusieurs semaines de repos forcé, humant l’air pur qui lui tournait un peu la tête…Elle était heureuse de pouvoir le soutenir. La promenade ne dura pas très longtemps. Elle l’aida à regagner sa cellule, il s’allongea et elle lui raconta sa journée depuis la veille. Ils ne se quittaient pas des yeux…main dans la main… L’hospice allait fermer ses portes, CLkikoz serait bien restée… mais… ils échangèrent un baiser et elle promit de revenir le lendemain, il lui promit de l’attendre…

A demain, mon Prince, votre Blanche vous aime et vous espère… Prenez soin de vous…

CLkikoz


C’est dans la soirée que CLkikoz est arrivée à l’hospice,… inanimée…

Elle avait travaillé d’arrache–pied aux labours et soudain avait été prise d’un malaise.

Elle avait essayé de reprendre des forces en se posant, le dos contre un arbre et respirant calmement. Son Rosaire à la main, elle tentait des prières, mais le ciel tournait devant ses yeux, des myriades d’étoiles lui étaient apparues et puis, plus rien… le silence, la nuit…

Personne ne sait combien de temps elle est restée ainsi, au fin fond d’un champ de blé…

Par bonheur, un berger rentrant son troupeau l’avait découverte et la chargeant sur son épaule, à la manière dont il portait ses brebis fatiguées, il l’avait transportée à l’hospice…

Elle reprenait doucement conscience et on pouvait l’entendre balbutier :

Mon Prince, je devais voir mon Prince… il est ici… dites-lui… dites lui que sa Blanche est là…

Elle parlait avec difficulté. On tenta de la faire boire, mais rien n’y fit, elle était dans un état de faiblesse tel que seul le repos pouvait l’aider. Elle échappa à la saignée grâce à l’intervention d’une infirmière qui l’avait déjà rencontrée plus d’une fois dans ces lieux et la savait courageuse et forte d’habitude… la saignée serait reportée au lendemain, s’il n’y avait pas d’amélioration…

CLkikoz, les yeux mi-clos eut la force de la remercier et lui fit un petit signe afin qu’elle s’approcha d’elle. Elle voulait absolument lui donner un message. Elle lui murmura à grand peine :

Pourriez-vous faire dire à Maître Babun qui se repose dans une cellule tout là-haut, que je suis ici… pas très loin de lui….

Puis se sentant en confiance, elle demanda un dernier service avant de sombrer à nouveau d’épuisement :

Dites-lui… dites… lui. Je… vous.....prie…que je… je….. l’ai…meeeee…

Elle fut conduite dans la grande salle commune qu’elle avait déjà traversée mais ne s’en rendit même pas compte… Les malades s’étonnèrent de la voir silencieuse… Elle qui avait toujours un petit mot en passant… Elle passait, trépassait-elle ?

Elle serait encore là demain… comme tous les jours depuis trois semaines et demie… mais cette fois, elle était sur place… nul besoin de revenir…pour voir son Prince, mais pourrait-elle le voir ? En aurait-elle la force ?

CLkikoz


Le jour semblait ne pas se lever aux yeux de CLkikoz… Elle était encore alitée à l’hospice, lorsque le « saigneur » arriva.

Dans la nuit, on avait pu l’entendre geindre. Elle était agitée malgré sa langueur. Des mots lui échappaient :

… Blanche… promesse…… … … mon Prince… … … voir… … … vous aime… là… ici… siempre… … attendez….

Selon Hippocrate et Galien, le corps a en lui des humeurs : sang, pituite, bile jaune et noire. C’est là ce qui en constitue sa nature et ce qui y crée la maladie et la santé.

CLkikoz était malade. Nul doute que ses humeurs étaient mauvaises.

Elle souffrait d’ardeur passionnelle qui la brûlait de l’intérieur : trop de sang ! Il fallait agir au plus tôt. La saignée serait pour aujourd’hui, le calendrier des astres donnait ce jour comme favorable, l’infirmière ne s’y était pas trompée la veille.

Toujours à demi endormie, elle sentit que quelque chose serrait son bras gauche, très fort… comme si on eût voulu la pendre, par le bras… Elle n’avait pas la force de voir ce qu’il lui arrivait. Elle tenta de prier... Mais seulement des mots de la dernière lettre que lui avait dictée Babun lui revenaient…

… Ma Blanche… je vous aime… Camarde… liberté…… … serment… … … épouser… …

Tout à coup elle sentit une blessure sur le dessus de sa main. Le « saigneur » venait d’y enfoncer sa lancette… Une douce chaleur ruissela sur ses doigts. Elle se laissa aller. Plus de prière, plus de souvenir, seulement la fraîcheur d’un tissu humide qu’une jeune femme lui passait sur le visage…

Son sang s’écoulait dans une petite coupelle, mais elle n’en vit rien, elle était partie au pays des songes : son Prince lui souriait et elle se mit à sourire béatement, ce qui fit immédiatement croire que la saignée avait eu du bon…

On pansa sa main et la laissa, ainsi à ses pensées… Elle n’avait pas ouvert les yeux une seule fois. Son soleil s’était éclipsé… Elle l’attendrait, au repos, ici, près de lui…

CLkikoz


C’est dans une petite pièce sombre que CLkikoz ouvrit les yeux à l’entrée d’une visiteuse. Cette dernière se présenta comme religieuse venant apporter la parole d’Aristote et rompre la solitude de ceux qui souffraient ici.

Dans un timide sourire, CLkikoz lui adressa d’une voix faible ces quelques mots:

Bonjour ma sœur, pourquoi suis-je ici ?

La novice lui expliqua ce qui était arrivé.

La malade sut ainsi, qu’eu égard à sa qualité de visiteuse de la ville et compagne d’un avocat, on avait préféré la changer d’endroit après sa saignée, afin qu’elle puisse recouvrer la santé au plus vite.

CLkikoz ne se souvenait que de très peu de choses : juste des râles dans la grande salle et de ses visions nocturnes : son Prince lui souriant…les mots de la lettre qu’elle n’avait pas sur elle, mais dont elle connaissait chaque virgule… ces mots, toujours ces mots qui lui revenaient sans cesse…

Espérant obtenir des nouvelles sur la quarantaine annoncée de son compagnon, elle interrogea la religieuse, or celle-ci venait de commencer sa mission de charité : elle ne savait pas.

Elles prièrent ensemble un moment puis CLkikoz demanda :

Pourriez-vous tenter de faire parvenir un billet à Maître Babun, je vous prie ? Mais je n’ai rien pour écrire et n’en ai même pas la force…

Le religieuse, voulant accomplir sa mission au mieux alla chercher plume et parchemin et se soumit avec plaisir à la dictée, puis, légèrement rougissante, elle relut le billet promettant de faire tout son possible pour l’acheminer vers son destinataire.

Citation :

Bonjour mon Prince,

Votre Blanche est là, à l’hospice, pour prendre du repos.
Je vous aime et vous attends.
Prenez soin de vous.
Qu’Aristote vous ait en sa protection.
Tendres baisers

Votre Blanche... hasta siempre !

Espérant que la quête de la visiteuse ne serait pas vaine, CLkikoz la remercia et replongea dans le sommeil avec la satisfaction d’avoir accompli tout ce qui était en son pouvoir pour que son compagnon ne se fasse pas de souci ne la voyant pas arriver encore aujourd’hui… Elle avait promis de se rendre chaque jour à son chevet et le sort en avait décidé autrement…

La religieuse reprit plume et parchemin et quitta la pièce.
Cette femme l’avait émue tant par sa foi que par sa passion pour son bien-aimé.
Elle tenterait de trouver cet avocat…

CLkikoz


Aujourd’hui, une fois de plus, CLkikoz ne pouvait quitter sa petite chambre. La saignée et le jeûne l’avaient encore plus affaiblie, mais ses prières et ses pensées lui donnaient le courage de surmonter cette nouvelle épreuve.

La religieuse vint à nouveau lui rendre visite. Elle avait apprécié cette jeune femme en qui elle avait mis toute sa confiance. Ses premiers mots furent pour obtenir des nouvelles de son bien-aimé :

Bonjour ma sœur, avez-vous pu remettre mon billet à mon Prince ?

La novice se rembrunit aussitôt, jetant le trouble dans le cœur de CLkikoz qui redoutait toujours le pire…

Qu’y a-t-il ? Parlez, je vous en conjure, je dois savoir… est-il arrivé un malheur…

Elle pâlissait de plus en plus, son impatience à la réponse lui tenaillant les entrailles. Elle se souvint du cauchemar de la nuit, dans lequel elle avait vu son cher et tendre enfermé sans qu’elle puisse aller le libérer… la quarantaine avait-elle été prononcée…

La religieuse lui conta que Maître Babun, à la suite de sa promenade dans le jardin avait eu une faiblesse et s’était vu pris de frissons, pour dans la nuit sombrer à nouveau dans l’inconscience…

Le « saigneur » était intervenu, le même jour qu’il avait opéré sur CLkikoz mais le malade ne semblait pas avoir bien réagi. Il était encore très faible. Peut-être faudrait-il renouveler à la prochaine lune… CLkikoz crut à nouveau chanceler, mais la novice ne disait rien de la quarantaine, c’est donc qu’elle avait été évitée… Elle se promit de se remettre au plus tôt sur pieds afin d’aller lui dire elle-même, qu’elle serait toujours présente à ses côtés et combien elle l’aimait. Elle demanda de l’aide pour s’installer à la table et à la hâte rédigea un billet qu’elle confia à la novice :

Citation :

Mon Prince,

Courage !
Votre Blanche vous aime
Tendres baisers

Puis ensemble, elles prièrent…

Dès que la religieuse s’éloigna, CLkikoz prit le pain qu’elle avait délaissé le matin et s’obligea à le manger, malgré son manque d’appétit. Il fallait qu’elle résiste, il lui était indispensable de prendre des forces pour gravir l’escalier qui la séparait de son bien-aimé…Demain… demain… elle irait le voir, l’embrasser, lui dire tout son amour… demain…

CLkikoz


En ce début d’après-midi, on put voir une jeune femme chancelante, se tenant aux murs, se diriger vers l’unique escalier de pierre de l’hospice. Doucement, très lentement elle gravissait marche après marche dans un effort soutenu, s’arrêtant parfois pour reprendre ses forces.

C’est ainsi que CLkikoz arriva à atteindre la cellule où son compagnon était installé depuis bien de jours déjà. La religieuse l’avait informée qu’il reposait toujours dans l’enceinte de l’hospice, aussi, sans hésiter, elle entra. Babun était bien là, encore plus amaigri que la dernière fois qu’elle l’avait vu, un bandage à chaque main…La blessure d’un côté, la saignée de l’autre…

Elle s’approcha et se pencha sur lui pour déposer un baiser et le saluer à son habitude :

Bonjour mon Prince, votre Blanche est là…

Puis se sentant fatiguée de la peine qu’elle venait de se donner, elle tira à elle un tabouret.
Ce faisant, elle remarqua sur la petite table un parchemin mêlé à ceux qu’elle avait fait parvenir et dont la lecture n’avait manifestement pas été faite… Ce billet qui l’intriguait portait seulement quelques mots, d’une écriture peu sûre qu’elle n’eut pas de mal à reconnaître : l’écriture de gaucher de Babun. On pouvait lire juste quelques mots : «Blanche, je me sens faiblir». Il n’avait sans doute pas pu terminer...

Seul un souffle rocailleux venait troubler le silence de la pièce.

Elle s’assit, sortit son Rosaire et commença sa litanie habituelle : pour sa guérison, pour lui, pour eux, pour leur amour…

De temps en temps des quintes de toux animaient violement le corps de son compagnon, posant sur son visage des marques de douleur. La phtisie l’aurait-elle frappé ?

Voyant qu’il n’avait pas conscience de sa présence, elle le laissa en lutte avec la maladie :

Mon Prince, qu’Aristote vous protège, prenez soin de vous, votre Blanche vous aime, vous aimera toujours… je reviens demain…

Elle l’embrassa tendrement et retourna dans sa chambre tout aussi doucement qu’elle était venue, s’alitant épuisée par les efforts fournis mais aussi par la peine de voir leur amour sans cesse mis à l’épreuve.

Elle reprit ses prières et finit par s’abandonner au sommeil…

CLkikoz


Cela faisait maintenant un mois que Maître Babun était à l’hospice. Il y avait eu quelques améliorations, mais aussi des rechutes. Sa faiblesse se faisait encore sentir. La Camarde avait semé son poison en lui, il lui fallait lutter sans cesse. Seul, dans cette ville qu’il découvrait à peine lorsque l’accident était venu le frapper, il avait le soutien de ses amis lointains mais surtout la présence de sa compagne qui chaque jour venait à son chevet prier pour sa guérison.

Elle arriva encore empreinte de lassitude, mais heureuse de pourvoir l’embrasser, s’emplir le regard de ses traits et lui parler, elle qui aimait tant leurs échanges…

Bonjour mon Prince, je suis de retour, votre Blanche est avec vous…

Mais elle n’eût pas de réponse. Son bien-aimé était encore en guerre contre la maladie et cette fois, elle s’en prenait à l’air qu’il respirait. Elle ne voulait pas le laisser entrer si ce n’est qu’après de douloureux sifflements… Sa santé ne s’améliorait guère. La pose de ventouses n’avait pas semblé donner de meilleurs résultats que la saignée. Babun était toujours dans de grandes souffrances.

Elle l’embrassa tendrement, passa délicatement sa main sur son visage émacié et s’agenouillant auprès de lui, elle lui prit la main et pria. Elle n’avait de cesse d’étreindre sa main entre les siennes, semblant vouloir lui manifester ainsi sa présence et son attachement.

« Qu’Aristote vous ait en sa protection, que le Tout Puissant sache combien je vous aime et vous attends… Je crois en Dieu, le Très-Haut Tout Puissant, créateur du Ciel et de la Terre, des Enfers et du Paradis, Juge de note âme à l’heure de la mort... »

Elle se releva, se pencha sur lui et lui murmura :

Je vous aime, vamos caminando, mano en la mano, por la vida…. À demain, mon Prince, prenez soin de vous...

Puis elle prit le chemin du retour en faisant une halte à l’oratoire de l’hospice qui se cachait derrière une massive porte en chêne. Elle entra et alluma un cierge.

CLkikoz


L’automne apportait toute sa dorure au paysage, mais quelques plantes gardaient leur verdure. CLkikoz en connaissait quelques unes et sur le chemin de l’hospice les ramassa avec précision : les rares fleurs de lavande que le froid n’avait pas encore saisies, des branches de thym et des baies de genièvre. En arrivant à l’hospice, elle passa au jardin cueillir des petites feuilles de sauge.

Satisfaite de sa cueillaison, elle entra tout sourire dans la cellule où son bien-aimé se reposait :

Bonjour mon Prince, j’ai apporté de quoi vous soulager…

Elle l’embrassa tendrement, Babun ouvrit les yeux et lui sourit. Sa Blanche était de retour. Elle lui prit la main et constata que sa fièvre semblait l’avoir abandonné. En revanche la respiration rauque était toujours là, lui soulevant laborieusement la poitrine. Ses traits amaigris lui prêtaient un air plus sévère qu’à l’accoutumée. Elle resta ainsi à le regarder longtemps puis se ressaisissant entreprit de mettre en œuvre son plan : il lui fallait seulement un peu de feu. Dans la cellule une petite cheminée apportait de la chaleur dans les périodes trop froides, ce qui n’était pas le cas encore. Elle n’y trouva donc que cendres et dut chercher une flamme pour pratiquer une fumigation de la pièce. Ce ne fut pas très compliqué, il y avait en permanence à l’oratoire des cierges.

Ne vous souciez pas mon Prince, je reviens dans un instant.

Elle y fit donc un tour, descendant et remontant l’escalier beaucoup plus facilement que la veille et revint avec une petite bougie. Elle s’empara des quelques brindilles qui attendaient les rigueurs de l’hiver et les alluma sans peine. Puis minutieusement, elle répartit les plantes qu’elle avait ramassées et s’assura que leur combustion se faisait correctement. Des parfums légèrement entêtants émanaient de ce feu particulier, inondant la pièce des senteurs mêlées des plantes de la garrigue.

Vous verrez, le mauvais air va fuir devant ces effluves…

Elle retourna auprès de son compagnon, lui prit à nouveau la main pour ses invariables prières. Puis profitant d’un semi-éveil de son bien-aimé, elle lui murmura des mots tendres avant de le quitter jusqu’au lendemain :

Mon Prince, votre Blanche est heureuse avec vous, vous êtes ma volée de bonheur quotidienne. Que ferai-je sans vous à Alais ? Je vous aime, je vous attends, qu’Aristote vous garde en sa protection, que l’espace purifié de cette cellule vous redonne vitalité… Je reviens vous voir demain, je vous aime…

Elle passa amoureusement sa main sur le visage de son compagnon, lui adressa un sourire, déposa un doux baiser, reprit le cierge et s’éloigna lentement sans le quitter du regard, jusqu’à ce que l’huis fût refermé sur l’amour de sa vie…

Elle remit son emprunt en place à l’oratoire, s’agenouilla un instant pour prier à nouveau.

CLkikoz


Réussissant à échapper à toutes les atrocités qui avaient lieu dans le village en ce moment, CLkikoz arriva à l’hospice, soulagée de trouver une enceinte protégée. Elle gravit les escaliers avec une légèreté retrouvée et entra vivement dans la chambre de son compagnon. Elle le fit sursauter avec son salut habituel :

Bonjour mon Prince !!! Votre Blanche est là….

Heureuse de le retrouver, de l’embrasser, elle ne remarqua même pas la présence désordonnée des osselets sur la petite table. Babun lui sembla moins fiévreux et respirant un peu mieux que la veille. Son état devait certainement s’améliorer. Elle l’espérait tout au moins ou est-ce son amour qui l’aveuglait ? Il lui sourit et lui tendit la main. Elle la prit délicatement, la porta à ses lèvres pour un baiser qui lui confirma que le feu intérieur dont souffrait son bien-aimé avait diminué. Il était encore bien faible mais son regard restait tout aussi pénétrant, elle en frissonna….

Je suis heureuse de vous retrouver, vous savez combien ces visites sont pour moi importantes…

Il lui raconta la souffrance que ses maux lui infligeaient depuis si longtemps maintenant, semblant se décourager de ne jamais en voir la fin. Il avait entrainé sa main gauche, mais trop de lassitude l’avait dissuadé de s’acharner. Elle l’écoutait attentivement, sa voix était faible et fatiguée tout comme son corps pouvait l’être après une telle bataille contre les maladies.

Il n’est pas encore temps pour vous de faire trop d’efforts, reposez-vous, vous en avez besoin et bientôt nous poursuivrons notre voyage, j’en suis certaine. Je vous aime…

Peu à peu, elle lui redonna confiance dans sa guérison, dans leur avenir. Il baissait les paupières voulant croire ce qu’elle lui disait. Elle s’approcha au plus près et lui murmura :

Lundi, j’ai composé un acrostiche sur le sourire, je voudrai vous le dire…

Il rouvrit les yeux, lui sourit, attendant qu’elle lise sa petite composition. Elle sortit un parchemin de sa poche et lut :

Citation :

Signe de bonheur
Ouvrage du cœur
Unique douceur
Rayon de plaisir
Instant de désir
R apide partage
Eclaire nos visages

Leurs deux visages s’éclairèrent à l’unisson, elle ne put résister à la tentation de l’embrasser à nouveau. Elle ne redoutait pas sa maladie…Puis elle le laissa à son repos, non sans lui assurer :

Votre force de caractère vaincra, je prie et vous attends…. Je vous aime…à demain…

CLkikoz


Après avoir récolté poireaux, choux et carottes chez un maraîcher Alésien, CLkikoz se dirigea vers l’hospice. Au passage, elle vit de magnifiques chevaux qui s’abreuvaient dans le Gardon. Son regard fut immédiatement attiré par une monture de toute beauté : une jument toute noire. Elle repensa à son rêve. Elle avait déjà vu cet animal… une nuit, dans son sommeil.

Elle ne prit pas le temps de s’attarder, elle reviendrait, pour l’heure elle allait retrouver son compagnon et il lui tardait d’avoir des ses nouvelles. Les journées lui paraissaient si longues à attendre ce moment de leurs retrouvailles.
Elle avait à chaque fois un regard vers la petite fenêtre de la cellule dans laquelle il reposait, espérant y découvrir sa silhouette, mais aujourd’hui encore elle était vide…

Elle activa l’allure et arriva légèrement essoufflée. Maître Babun l’attendait et lui sourit dès son entrée. Sans dire mot, elle alla l’embrasser et posa sa tête contre son épaule, savourant cet instant de rencontre comme s’il fût le premier ou le dernier. Rien n’était insignifiant dans leurs échanges. Leur silence n’était jamais vide, seulement un tout de bonheur, douceur et tendresse. Leurs cœurs battaient à l’unisson résonnant chacun pour l’autre. Plongeant son regard dans celui de son seul amour, elle lui murmura, afin de ne pas brusquer le silence :

Beau jour mon Prince, votre Blanche est heureuse…

Il l’était aussi. Elle ne pouvait pas s’y tromper à voir son sourire. Il reprenait le chemin de la guérison, elle le sentait, elle avait tant prié qu’Aristote ne pouvait pas les abandonner. Elle aurait souhaité lui parler de ses projets mais elle n’osa pas, voulant le préserver de l’inquiétude. Elle lui proposa une partie d’osselets, qu’il accepta. Sa main gauche devenait de plus en plus habile et nul n’était besoin de tricher pour le laisser gagner :

Vous avez acquis une belle dextérité maintenant, je suis certaine que votre écriture s’en ressent. Vous pourriez composer sur Alais, il y a un concours de poésie en ce moment pour la bibliothèque…

Elle savait que la versification était un de ses arts favoris et souvent, seul le temps lui manquait pour le mettre à l’épreuve, mais ici, à l’hospice, les jours sont longs s’ils ne sont pas consacrés au sommeil. Il lui promit d’essayer. Elle en fut ravie :

Quel plaisir que vous acceptiez, j’aime tant vous lire… mon Prince, je vous aime, je suis comblée. Guérissez vite que nous puissions reprendre notre chemin, ensemble, sur la route de la vie…

Il était déjà l’heure de le quitter. Maudites clepsydres ! Elles les poursuivraient donc toujours !

A demain, je dois partir… mais croyez bien que ma pensée ne vous quitte jamais. Je vous espère, mon Prince, je suis votre Blanche pour la vie… je vous aime autant que vous m’aimez…

Ils s’embrassèrent tendrement et chacun reprit sa destinée solitaire, lui dans son lit, elle vers l’escalier de sortie de l’hospice.

CLkikoz


Les projets de CLkikoz ne prenaient pas la tournure espérée et l’abattage des animaux n’était pas pour la réconforter, aussi fut elle heureuse de pouvoir regagner l’hospice et y retrouver le rayon de soleil de son cœur.

Mon Prince, bonjour ! Votre Blanche ENFIN de retour !!!

Elle se précipita vers lui pour l’embrasser, comme si elle ne l’avait pas vu depuis des siècles. Il manqua de basculer devant un tel déferlement. Ils en rirent de concert.

S’approchant de la fenêtre dans l’espoir d’apercevoir les chevaux, afin de lui montrer celui qu’elle souhaitait obtenir, elle vit qu’il avait établi des comptes sur des parchemins.

Vous avez déjà recommencé votre travail ? Est-ce bien sérieux, vous devriez profiter de votre présence ici pour regagner vos forces...

Il ne pouvait s’empêcher de travailler, pour lui cela semblait être la meilleure façon d’exister et sa santé s’améliorant, il existait à nouveau. Il n’avait pas pris le temps de composer pour le concours de poésie, mais il y songeait. Cela amusa beaucoup CLkikoz qui connaissait ce genre de propos. Elle le retrouvait, comme avant, avant ce terrible accident…

De mon côté, je suis allée à la bibliothèque remettre mon manuscrit au conservateur. Je ne sais pas s’il lui conviendra, mais j’ai eu plaisir à le faire.

Elle lui lut sa composition. Il ne manqua pas de la taquiner sur l’usage de tel ou tel mot. Son goût pour la langue ne permettait aucune imprécision. Mais il était toujours indulgent avec sa Blanche.

Vous exagérez, lui dit-elle, je ne vous montrerai plus rien si vous me taquinez encore…

Elle partit dans un rire, plein du bonheur qui s’ouvrait devant elle. Ils avaient tant de choses à dire, à partager que le temps leur sembla un instant.

Une dernière étreinte et la nuit couvrait de son manteau sombre le paysage. CLkikoz n’avait pas vu les chevaux mais elle avait savouré un morceau de vie, heureuse avec son chevalier servant…

Mon Prince, je vous aime… nous nous retrouvons demain, je fais au plus vite…

Lorsqu’elle quitta l’hospice, elle se retourna pour un ultime regard sur la petite fenêtre, un sourire éclaira son visage : une silhouette promenait de gauche à droite, une flamme, en signe d’au revoir. Il allait mieux…
Elle fit un signe de la main et regardant autour d’elle si elle était seule, envoya voler un baiser vers cette clarté, vers sa lumière, son soleil, son étoile, celui qui illuminait ses jours de sa présence, embrasait ses sens de ses mots, étoilait son sommeil de ses projets…

CLkikoz


Le vent d’hiver se levait sur Alais, malgré le soleil automnal. Il cinglait le visage de CLkiko, lui fixait le rose aux joues. Elle se rendait à l’hospice, son travail achevé. Elle ne se posait plus de question, elle avait déjà eu des nouvelles et savait que tout allait bien. Il ne lui restait qu’à partager des moments de quiétude dans les bras de son bien-aimé. Il la réchaufferait assurément, même si sa main droite conservait les marques de l’accident. Rien ne les empêcherait de savourer leurs retrouvailles.

Au passage, elle vit la gamine qui était venue lui porter un billet ce matin et lui offrit un fruit qu’elle avait choisi à son attention en traversant le verger.

L’escalier de pierre ne comptait que peu de marches aujourd’hui, tant la jeune femme avait le cœur léger et l’allure alerte. Sans bruit, elle pénétra dans la chambre de Babun, voulant le surprendre. Elle était d’humeur taquine… Mais il ne s’étonna pas, il avait reconnu ses pas. C’est elle qui sursauta en le voyant face à l’huis, bras gauche ouvert pour l’accueillir. Elle s’y glissa dans un rire mêlant plaisir et confusion :

Ah ! Mon Prince, bonjour, vous avez confondu votre Blanche… vous réussirez un jour à faire exploser mon cœur…. Est pris qui croyait prendre ! Vous avez gagné !…

Le bonheur était authentique. Il passa tendrement le revers de sa main sur les joues de sa compagne pour atténuer le rouge qu’elles arboraient. Petit à petit, elle reprit ses couleurs, ses esprits, mais pas son espace. Elle restait toujours au plus près de lui, tantôt appuyée contre son épaule, tantôt main dans la main. Le sentir à ses côté devenait indispensable. Le temps de leur séparation comptait double, triple, il fallait faire des réserves de tendresse jusqu’au lendemain.

Intriguée par une silhouette qu’elle avait aperçue près de la place du marché, elle l’interrogea :

Votre sœur vous a-t-elle rendu visite ? J’ai cru l’apercevoir, mais cela me semble fort peu probable, compte tenu de la distance qui nous sépare de Tonnerre….

Il n’avait vu personne de Bourgogne. Hormis la gamine revenue avec un billet qu’il avait laissé sur la table, à côté de l’encrier et les personnes de l’hospice, CLkikoz était la seule à lui rendre visite.

Chaque jour, elle apportait sa part de tendresse et rentrait avec sa part de bonheur :

Mon Prince, je vous aime, je reviens demain… j’ai hâte que vous sortiez… J’ai apprécié votre billet, ce matin et votre signe, hier, à la fenêtre…

Ils s’embrassèrent une dernière fois. Il la reconduisit vers la sortie et s’approcha de la fenêtre guettant son passage au pied de la bâtisse.

Elle ne manqua pas de relever la tête pour un ultime au revoir avant de s’enfoncer dans la nuit qui recouvrait déjà Alais...

CLkikoz


Le moment était enfin arrivé où elle pourrait entrer à l’hospice et rendre visite à son bien-aimé ! Un petit paquet sous le bras, CLkikoz, le regard pétillant de joie arriva alors que Babun s’entrainait encore avec ses osselets : bientôt il serait un parfait gaucher, meilleur que tous les autres, puisque son gaucher préféré…

Bonjour mon Prince, votre Blanche avait hâte…

Immédiatement, il s’interrompit pour l’accueillir avec douceur et tendresse. Ses forces revenaient peu à peu et sa toux avait pratiquement disparue. Elle goûtait son souffle chaud et doux dans sa nuque et serait volontiers restée une vie entière ainsi nichée contre lui, lorsqu’elle sentit que quelque chose lui glissait des bras. Elle n’avait même pas pris le temps de déposer son paquet. La chute de celui-ci lui rappela qu’elle avait quelque chose pour lui et l’arracha à son étreinte :

Veuillez me pardonner…

Elle ramassa les deux ouvrages qu’elle avait empruntés à la bibliothèque et les lui tendit :

Je vous ai apporté un peu de lecture, pour vous changer des journaux.
J’espère que mon choix vous conviendra…

Il apprécia cette initiative, se réservant la consultation des livres pour les instants de solitude qui devenaient de plus en plus nombreux, prenant la place des moments de sommeil qui habitaient rarement ses journées maintenant. C’est bien là un signe de mieux-être. Ils profitèrent donc du temps qui leur était donné pour bâtir le bonheur qui les conduirait jusqu’au lendemain….

En partant, elle osa lui proposer :

Mon Prince, à la bibliothèque, il y a aussi des livres sur la religion… je ne sais pas si vous vous souvenez de votre serment… enfin… si vous voulez… je pourrais aussi les emprunter et ainsi…

Elle avait été tellement surprise de son serment, qu’elle en bafouillait encore, n’osant pas insister. Elle l’embrassa une dernière fois et lui sourit :

A demain, mon doux ami, mon Prince, je vous aime et vous espère… mais vous le savez…

CLkikoz


Un rayon de soleil faisait chanter les mésanges donnant gaité et ardeur à la tâche
CLkikoz s’était activée dans un champ de blé pour prendre le temps de faire un tour chez le charpentier Sebwood. Elle tenait dans sa main un objet assez mystérieux lorsqu’elle se rendit à l’hospice.
Instinctivement, relevant la tête, elle aperçut son compagnon qui regardait par la fenêtre. Son visage s’illumina aussitôt. Elle lui fit un signe de la main avant de franchir les portes et l’escalier qui la menaient à ses côtés. Il était tout en haut des marches qu’elle monta au plus vite pour l’embrasser :

Bonjour mon Prince, que de progrès… bientôt vous viendrez me chercher dans les champs…

Il posa sa main sur l’épaule de sa Blanche et la conduisit dans ses « appartements ». Cette petite chambre de l’hospice était devenue son « chez lui » depuis le temps. Il commençait à y avoir pas mal d’objets personnels lui donnant un air plus vivant que celui qu’elle avait au premier jour de l’accident.

Je vous ai apporté une surprise, fermez les yeux et ouvrez votre main, je vous prie.

En toute confiance, il se prêta au jeu. Elle lui glissa l’objet qu’elle avait acheté au village et délicatement referma dessus la main de son compagnon.

Vous pouvez ouvrir les yeux maintenant, mais pas la main… Vous ne devez pas voir mais deviner.

Il fit tourner le cadeau dans sa main, réfléchissant, palpant au mieux pour en appréhender les formes et en sentir la texture. Sa main gauche était devenue très adroite, mais était-elle très sensible ? Il se prononça pour une pierre polie. Toutefois ce galet lui semblait bien chaud pour de la pierre.

Sans regarder, pouvez-vous le humer ? Vous serez étonné…

En effet la pierre avait un parfum délicat et persistant. Il ne savait pas…

C’est une cadalithe, elle est taillée dans le bois d’une sorte de genévrier qui pousse dans la région. Elle doit vous protéger et vous porter chance… j’espère que ce sera vrai… Gardez-là avec vous, je vous prie, je crois beaucoup qu’elle peut aider…

Elle plongea son regard attendri dans le sien :

Mon Prince, je vous aime et voudrai vous voir heureux comme je le suis moi-même, ce n’est qu’une petite chose… qu’elle vous rappelle seulement que je suis vôtre et vous attends… Je vous aime…

La vie est ainsi faite, des petites choses qui font des grands bonheurs… Ils partagèrent une fois de plus des instants chargés d’émotions avant de se quitter jusqu’au lendemain. Elle reviendrait, il l’attendrait…

CLkikoz


Plongé dans le livre de poésie que sa compagne lui avait apporté, Babun n’entendit pas CLkikoz arriver. Elle le sortit doucement de sa lecture en lui glissant un baiser dans la nuque. Il tourna la tête se récriant que sa Blanche était d’humeur bien taquine aujourd’hui.

Eh oui ! Mon Prince ! Tellement heureuse de vous retrouver… n’est-ce pas une agréable surprise ?

CLkikoz faisait mine de faire la lippe, un léger sourire pointait cependant sur les commissures de ses lèvres. Sous le regard de son compagnon, elle ne pouvait tenir longtemps ses petites bouderies feintes et ils finirent riant dans les bras l’un de l’autre.

Il lui chuchotait des paroles douces, elle lui susurrait des mots tendres. L’enchantement de leurs rencontres s’affirmait chaque jour un peu plus.

Ne voulant pas briser cette magie, elle reculait toujours le moment de lui parler de son départ pour Tonnerre. Mais, cela lui pesait… Il ne s’y trompa pas et l’interrogea sur ce qui changeait son regard de miel en perles de jais.
Elle ne savait pas mentir et lui raconta ses projets dans le détail…

Je ferai au plus vite, mon Prince, j’ai vu une magnifique jument… Elle me conduira prestement vers mon moulin et me ramènera aussitôt que mes affaires seront achevées…

Un nuage de mélancolie s’était posé sur son visage. En signe de réconfort, il passa doucement sa main dans les cheveux de soie de sa belle et l’attira à lui.

Il n’est point question de dérobade… vous avez déposé en mon cœur une volée de bonheur un jour de mai et depuis elle n’y réside que pour vous… je vous aime et vous reviendrai, je vous en fais la promesse…

Babun n’était pas d’un naturel inquiet mais il lui demanda la plus grande prudence sur les chemins. Leur brigandage d’août avait laissé de profondes marques…

Je vous assure mon Prince que je prends toutes les précautions pour vous retrouver… J’ai trop grande foi dans votre serment pour aller me perdre dans les dédales du Royaume de France !

Elle ne lâchait pas sa main, aurait voulu la garder longtemps encore, mais la soupe arrivait et l’heure du départ sonnait.

Portez-vous bien, reprenez force et nous repartirons ensemble, je vous attends mon Prince, je vous aime… Qu’Aristote nous garde en sa protection…

Les embrassements s’éternisaient, la séparation se faisait âpre…

CLkikoz


Longtemps Babun avait cherché du regard par la fenêtre sa Blanche, lorsqu’enfin il reconnut sa silhouette sortant du verger. Le temps lui paraissait interminable et pourtant elle arrivait plus tôt que d’habitude. Serait-il devenu impatient ?

Il alla l’accueillir en haut des marches qu’elle monta à la hâte dès qu’elle l’aperçut :

Mon Prince ! Votre amabilité me comble…

Ignorant s’ils étaient seuls, elle se jeta sans retenue dans ses bras pour une étreinte interminable.

Je suis ravie que vous vous aventuriez. J’aurais une proposition à vous faire si vous vous sentez courageux.

Il fronça les sourcils se demandant bien ce que sa compagne avait encore tramé.

Vous sentez-vous de taille à m’accompagner jusqu’en bas ? J’aimerai vous emmener quelque part, pas très loin…

Il accepta, elle lui prit la main et ensemble ils descendirent l’escalier pour arriver devant la porte de l’oratoire.

Voilà ! C’est ici, il me siérait que nous priions ensemble.

Très cérémonieusement, légèrement troublée, elle poussa la lourde porte et ils pénétrèrent dans ce lieu de recueillement. Jamais ils ne s’étaient rendus simultanément dans une église ou une chapelle. Babun y avait trouvé refuge parfois et CLkikoz les fréquentait régulièrement. Mais aujourd’hui elle était heureuse de s’y trouver, à ses côtés. Elle lui murmura :

Mon Prince, remercions le Tout Puissant du bonheur qu’il nous donne…

Ils s’agenouillèrent, côte à côte, comme cela ne le serait pas permis pendant les messes puis prièrent. Elle se tourna légèrement vers lui et se pencha à son oreille :

Devant le Très Haut je voudrais vous redire « oui », oui, mon Prince, je voudrais devenir votre épouse. Je suis votre Blanche et je vous attends…

Il la regarda, lui prit la main et furtivement y déposa un baiser, puis ils se relevèrent et regagnèrent la cellule de Babun où ils reprirent leurs conversations, leurs jeux, leurs rêves avant de se séparer…

A demain, mon Prince, merci pour ce moment de prières et pour tous les autres moments… Je vous aime !